La fin du confinement ?
Il a plu toute la journée. Mes yeux commencent à refuser de voir la rue. Je n’ai pas vu la ville ayant dédaigné de sortir sous la pluie comme si ce dernier jour de confinement devait être pris dans toute sa plénitude. Pas de sortie. Demain n’en sera que plus léger. Enfin voir la verdure au-delà de l’herbe qui pousse entre le goudron du sol et le béton de la façade, dans la moindre fissure, et la pluie de fleurs sur les trottoirs échappant à un entretien vigilant.
La tentation était grande de remplacer la vue par une parole qui n’en finissait pas. Parler longuement au téléphone ou par l’entremise de différentes plateformes sur l’ordinateur tous les jours. Il est sûr que cela était apaisant, moins de solitude. Demain le centre de gravité allait changer. Dans un espace ouvert on pourrait aller dans la ville et au-delà dans la campagne, nous retrouverions une vue élargie sur une diversité plus grande.
Aller au jardin sur le Causse où un ami plante avec fureur oignons, tomates, oeillets d’Inde, pommes de terre, fraises, artichauts, ciboulette, salades et plantes aromatiques sous un ciel devenu plus vaste au pied de la Séranne, une paroi de rose et de gris selon l’heure comme un Pic Saint Loup, une Sainte Victoire. Un ciel comme les bleus de Miro.
Aller au Jardin des Plantes pour le grand brassage de la diversité, y voir libellules, mésanges, grenouilles dans un printemps explosif. J’y trouverai le calme au coeur de la ville, un emplacement au soleil ou à l’ombre propice à la lecture. J’y retrouverai les chats, habitants permanents alanguis sur de larges pierres au soleil, indifférents au passage des visiteurs. Sur de petits panneaux noirs fichés en terre sur des tiges, je lirai le nom savant des plantes en latin, je reviendrai en classe de sixième avec la découverte de cette langue et son gros dictionnaire Gaffiot dont le volume imposant me laissait accroire une entrée dans le monde étudiant.
Je n’avais pas trouvé la quiétude de l’immobilité. En certains lieux de la ville allaient réapparaître les pauvres. Des hommes que je connais faisant « la manche » au même endroit. Ils ne sont pas du paysage, ils sont la marque sociale d’un renoncement, d’un abandon. On reprendra langue, on se donnera des nouvelles pas très fraîches sans doute, on parlera surtout de la santé comme avec chacun de nos proches.
Nous nous déplacerons davantage pour partir et retrouver le délicieux moment du retour dans nos lieux d’élection. Au détour d’une lecture nous reviendra cette phrase d’Alain Monnier* : « l’esprit des lieux est souvent l’esprit de soi ». On pourra toujours se cacher dans de hautes herbes.
(*A. Monnier, « L’esprit des lieux » – éditions Climats.)